❧ You are the beginning of my end. La nuit déposait son sombre manteau sur la cité de Nea Smirni, le calme régnait en maître le temps d’un instant… Bientôt des cris allaient percer le silence de cette petite bourgade voisine d’Athènes, lieu de tranquillité et de prospérité où rien ne s’était jamais déroulé. Du moins, pour l’instant.
Les heures s’écoulaient, les cris et les pleurs continuaient de fuser, inquiétant un mari aimant et d’un enfant encore trop jeune pour comprendre ce qu’il se passait, déchirant la gorge d’une femme si frêle, faisant vibrer les murs de pierres blanches de cette petite demeure située au sommet de la petite cité.
Le couple y vivait depuis leur union, s’aimant, vivant au mieux que le leur permettaient leurs ressources. À cela manquait simplement un petit être à qui transmettre tout cet amour et cette tendresse qui leur été propre. Ils avaient tant prié les dieux de la Grèce antique, Aphrodite les avait déjà tant comblés mais ils s'étaient par la suite tournés vers Astarté, déesse de la fécondité, afin qu'elle leur accorde un petit bonheur de plus.
Combien d'années avaient-ils prié et espéré ? Ils avaient beau proposer toutes sortes d'offrandes les déposant chaque jour au pied de cette statue de pierre blanche polie trônant au centre du temple dédié à la déesse. Les temps passaient lentement, le désespoir et la tristesse s'emparant de ces deux pauvres êtres, ceux qui pensaient que la déesse les jugeait suffisamment comblés pour daigner leur accorder ce souhait supplémentaire. Alors qu'ils décidaient de laisser une dernière offrande à la maîtresse de la fécondité, voilà que leur souhait leur fut accordé.
Tristesse et consternation fuirent alors cette pauvre demeure, s'échappant afin de laisser place de nouveau au bonheur et à la gaieté, mais surtout à la reconnaissance. Cette femme si fragile sentant ce petit être grandir doucement en elle, souriant lorsqu'il répondait à ses belles paroles d'un mouvement prouvant qu'elle ne rêvait pas, que le désir de ce jeune couple était désormais exhaussé. Elle se plaisait à passer ses journées à sentir son enfant vivre, son mari déposant avec un sourire aimant ses mains rugueuses sur le ventre rond de sa femme. Huit mois s'écoulèrent dans cette tendresse, huit mois paisibles avant que l'inquiétude, les pleurs et la peur ne s'invitent de nouveau à leur porte.
Ce petit être qui semblait si doux et faible ne se contentait plus d'être seul en sa mère, il souhaitait découvrir qui étaient ceux qui lui accordaient tant d'attention. Cette naissance prématurée les inquiéta beaucoup, ils ne s'y étaient pas préparés. C'était l'une des nuits les plus chaudes de l'été et cette femme d'ordinaire si pâle hurlait comme jamais elle ne l’avait fait, l'effort lui teintant ses pommettes, les pleurs et la sueur encrassant son visage si fin, tandis que lui tentait de la calmer au mieux, priant les Dieux de leur venir en aide.
La jeune femme était allongée à même le sol, sur la roche dure et coupante, ses pieds dénudées rappant le sol sous l’effort, ses ongles ensanglantés venant se crisper et se briser sur la pierre, l’une s’acharnant sur la paume de son époux qui blêmissait chaque cri un peu plus. Son visage suant n’était propre que là où ses larmes avaient coulées, la lumière vacillante des bougies venait éclairer ses yeux bleus azur qui imploraient silencieusement.
L’effort se faisait toujours plus intense, les cris et les pleurs de plus en plus difficiles à contenir. Elle ne voulait se résigner à abandonner bien qu’elle se pensait incapable de tenir une vague de douleur de plus. Au fond, elle savait qu’elle se le devait, sinon, jamais elle ne pourrait rencontrer ce petit être qu’elle avait chéri si longtemps. Il ne cessait d’éponger la sueur coulant sur le visage pâle de sa douce, la rassurant en tentant au mieux de contenir les tremblements de sa voix. Le soulagement se lut sur son visage lorsque la vieille de Nea Smirni fit son entrée, ne s’attardant pas et venant instinctivement apporter son aide à la demoiselle. Elle donnait ses ordres d’un ton froid et catégorique, ses mains rugueuses et ridées caressant le ventre tiré. L’époux s’inquiéta à la vue du sang sur les mains de la vieille mais elle le lui interdit d’un regard qui ne laissait place à la contradiction. Il l’écouta, réprimant son inquiétude pour écouter la doyenne qui faisait son possible pour aider sa belle.
Puis la douleur passa lentement, alors que l'aube éclairait les champs, venant réchauffer l'habitation qui comptait désormais un nouveau membre. Dans un dernier cri, la maîtresse de maison fut libérée. Son enfant était né et braillait de vie, faisant naître sur chaque visage un sourire empreint de soulagement. Une petite fille qui semblait aussi pâle que sa mère et qui criait d'une voix criarde de nouveau-né gesticulait dans les mains de l’ancienne. Elle coupa le cordon à l’aide d’une pierre tranchante, enveloppa l’enfant d’un drap avant de la déposer dans les bras du père qui ne pouvait retenir ses larmes, se penchant pour montrer leur merveille à sa chère et tendre. Elle caressa le petit duvet brun présent au sommet du crâne de sa petite, se laissant aller à l’émotion alors que la vieille s’occupait de ses mains meurtries. Mais elle ne sentait pas la douleur, seule la joie animait son regard dévorant sa création dont le petit poing serré s’ouvrit pour s’emparer du doigt de sa mère qui lui chatouillait tendrement la main :
« πολύτιμα μου… » Enfin, après cette nuit jonchée de stress et de crainte, le bonheur revint. Le prénom de Sulpicia fut décerné à la descendante des Andréios, prénom qu’avait porté la défunte sœur tant aimée de sa mère. Le regard de sa petite lui rappelant tant celui de sa chère aînée.
L’enfant grandit dans un foyer chaleureux et aimant. Elle marchait tout juste lorsque le ventre de sa mère s’arrondit de nouveau. Elle ne comprenait ce que cela impliquait mais elle aimait sourire à la manière de ses parents en regardant ce ventre rond. Elle rigolait à chaque secousse qu’elle ressentait. Elle pleura la nuit où elle entendit sa mère hurler, se pressant les oreilles, sans comprendre la raison pour laquelle on ne la laissait rejoindre ses parents. Jusqu’à ce qu’elle entende de petits cris bien plus stridents que ceux de sa chère mère. Son père vint la chercher, les traits tirés et épuisés bien qu’un sourire éblouissant étirait ses lèvres :
« Έχετε έναν αδελφό… » C’est ainsi que Sulpicia découvrit pour la première fois Helios, son cadet. Le bonheur semblait être infini dans la demeure, ne cessant de grandir avec ces enfants souriants. Mais toutes bonnes choses ont une fin. Sulpicia le découvrira à ses dépens…
❧ Happiness is a fairytail. Helios et Sulpicia ont toujours su se montrer reconnaissant de l’amour et des connaissances que leurs ont transmis leurs parents, les respectant et les aimant en retour. Leur enfance se déroula à merveille et de la plus paisible des manières. Ils étaient soudés comme jamais, les deux enfants parcourant souvent la cité de leurs courses et rires, apportant un peu plus de joie dans cette petite cité qui ne connaissait que la prospérité et la paix. Ils n’avaient pas de secrets l’un pour l’autres, ils pouvaient passer des heures à parler en haut de la plus haute butte surplombant Nea Smirni. Les soirées au foyer résonnaient perpétuellement les éclats de rires de Andréios. Aimés de tous, la vie ne leur présageait que de bonnes choses et souvent ils remerciaient les Dieux pour tant de joie dans leur vie.
Mais tout bonheur a une fin. Sulpicia n’aurait jamais pensé être la cause de tant de malheur, son esprit encore jeune n’avait pas été préparé à telle trahison et manipulation.
Elle n’avait que 13 ans alors qu’elle l’avait rencontré. La beauté de sa mère lui avait été transmise, sa douceur et son regard aimant aussi. Elle était appréciée de beaucoup, ne manquait pas d’amitié et de bonté. Mais toute jeune fille aspire à plus à un certain âge. Combien de fois Sulpicia se rendait-elle au sommet de la butte pour perdre son regard sur l’extérieur de la cité, sur les plaines et forêts l’entourant, rêvant de découvrir ces terres encore inconnues qui l’attiraient comme jamais. L’ennui la rongeait… Du moins, jusqu’à ce qu’il entre dans sa vie…
Ce jeune homme si beau, au regard azur qui semblait lire en elle tel un livre ouvert. Ils se sont rencontrés alors qu’elle s’était éloignée de la cité pour explorer l’orée des bois. Prise d’un sursaut lorsqu’il l’avait surprise, il avait su la rassurer et elle avait été trompée par son sourire envoûtant… Pour la première fois, elle rencontrait un garçon inconnu aux autres… Elle se plaisait tant à écouter ses aventures, se perdant à maintes rêveries alors qu’il lui contait nombres d’histoires qu’il avait vécues, son courage impressionnant la demoiselle. Elle enviait sa liberté…
Helios la surprit un jour, inquiet de voir sa sœur disparaître de la sorte de temps à autres. Il n’avait aucune confiance en cet être. Pour la première fois, leur lien fraternel fut ébranlé, Sulpicia déçue des remarques de son frater, sa détermination à nier ce qu’il disait forçant Helios à en faire part à leurs parents. Elle se refusait d’écouter les avertissements de ses parents, peu enclins à ce qu’elle passe du temps avec cet individu qu’ils ne connaissaient pas, peureux des inconnus. Mais elle rejetait leurs paroles, l’excitation de ses rencontres prenant le dessus sur la raison. Futée, elle parvenait toujours à aller à la rencontre du jeune homme au regard semblable aux eaux de l’océan. Elle ne fit attention à toutes ces questions qu’il lui posait, aveugles à ses mensonges. Les pirates sont de parfaits orateurs après tout…
Son monde s’est écroulé lors d’une nuit à lune ronde. Ils ont pillé, violé, massacré et brûlé le village. Nea Smirni avait eu vent de pillages aux alentours, ils s’étaient préparés à telle attaque et pourtant, ces monstres savaient tout de leurs secrets. Par la faute de cette enfant qui avait été si facilement bernée.
« Τι έχετε κάνει… » Lâcha dans un souffle son père alors que l’horreur débutait tout juste dans la cité, ces hommes sans mœurs menés par le bel amant s’attaquant à leurs proches amis. Sulpicia resta sans voix, se persuadant d’un cauchemar, priant les Dieux de la réveiller. Mais les Dieux n’étaient déjà plus là pour elle, ni pour sa famille…
Sa mère la serrait contre elle, Helios était à terre assommé par un coup, leur père tentait avec violence de les protéger. Elles pleuraient toutes deux, les cris de leurs semblables leur parvenant de la vallée, ce chant froid et triste se mêlant à l’odeur abrupte de la cendre et de la fumée noire des chaumières en feu et des corps calcinés. Elle entendit sa mère crier de plus belle tandis que le ténébreux qui avait trompé l’enfant transperçait l’épaule de son père de son épée. Il s’affala, épuisé et abruti par les coups. Sulpicia fixait son père qui tentait de lutter avant d’être happée par les ténèbres de l’inconscience, le visage mouillé de larmes elle fut arrachée de sa torpeur uniquement lorsqu’elle sentit des mains sales de sang du voyageur s’emparer d’elle alors que d’autres s’acharnaient sur sa mère, la foudroyant de coups… Elle vit la vie quitter le regard de sa mère, lisant la peur et l’horreur dans son regard qui la fixait alors qu’elle s’envolait lentement. Tout cela était de sa faute… Son cœur éclata presque lorsque ce ne fut plus que le regard vide de sa mère qui lui fit face, déchirée à entendre son dernier souffle.
Cette nuit, Sulpicia a découvert de nouveaux sentiments qu’elle n’avait compris à ce jour… La culpabilité et la haine.
❧ Suffering leads to hate. U.C
❧ They said it’s a sin, for me, to live. So I died. U.C
❧ The beginning of a brand new life. U.C