Docteur Loomis, médecin en psychiatrie. Nous sommes le 15 Juin 1996, il est 8h00 du matin, à Canberra en Australie.
Le patient a été retrouvé errant sur la voie publique en plein milieu de la nuit. Couvert de sang qui, après analyse, ne lui appartenait pas, il nous a été confié il y a tout juste une heure. Les seuls papiers en sa possession n'ont pas réussi à nous livrer une identité complète. Seul son prénom nous est connu. Le jeune Eythan serait âgé d'environ quatorze années, mais n'étant pas bien grand, son âge reste à confirmer. En état de choc, il est atteint par une amnésie totale mais non définitive, … espérons-le. Je n'ai pas réussi à lui faire prononcer le moindre mot et son regard semble comme perdu dans une toute autre dimension. Il bouge parce qu'il faut bouger, mais il semble totalement absent de son propre corps. Il sera placé dans la chambre 3419, jusqu'à ce que je puisse en savoir plus à son sujet.
L'enregistrement se termine sur un bruit de bouton de magnétophone. Eythan a été emmené dans la chambre en question et couché sur son lit, le regard captivé par la pluie tombante de l'autre côté de la vitre, les brides de souvenirs violents viennent le hanter. Des cris résonnent dans sa tête, des bruits d'objets se brisant et cet odeur âcre de sang. Fronçant les sourcils, il est bien incapable de se rappeler avec certitude ce qu'il s'est passé. Ce qui est certain c'est que le jeune adolescent a vécu et vu des choses pas très sympathiques.
Docteur Loomis, médecin en Psychiatrie. Nous sommes le 15 Juillet 1996, soit un mois après l'arrivée du petit Eythan dans notre établissement de Canberra, en Australie.
Ses souvenirs tentent à revenir. Il est sujet à de violentes crises de paniques pratiquement toutes les nuits. Après quelques semaines de psychanalyse, nous avons la certitude que Eythan est bien âgé de quinze ans. Il est né le 17 Février 1981. Il n'aurait ni frère, ni soeur et fréquentait le collège de Canberra. M'ayant parlé de musique à plusieurs reprises, j'ai réussi à lui procurer une guitare, afin qu'il puisse se vider la tête lorsque les souvenirs brutaux reviennent. Je l'ai entendu joué, il est vraiment très doué et attachant. Il s'est rapidement lié d'amitié avec sa petite voisine d'en face. Mais ma plus grande interrogation reste la suivante : tout ce sang appartenait à qui ? Et, est-il acteur ou spectateur de cette tragédie qu'il a vécu ? Pour le moment, je ne veux pas le brusquer, mais il nous faudra rapidement des réponses, pour au moins tenter de contacter ses proches, s'il lui en reste.
Assis sur le bord de son lit, guitare dans les mains, le jeune garçon joue l'une de ses compositions personnels. Il semble déjà avoir la musique dans le sang, mais son regard reste parfois perdu dans les méandres de ses lointains souvenirs. Il sait ce qu'il s'est passé, il se souvient de tout, mais persuadé que personne ne le croira ou qu'il sera pris pour fou, il continue à feinter l'amnésie, déjà loin derrière lui. Ce n'est que quelques mois plus tard, qu'il est forcé de tout raconter, avec la crainte de ne jamais plus ressortir de cet établissement.
Docteur Loomis, médecin en Psychiatrie. Nous sommes le 10 Décembre 1996, à l'institut psychiatrique pour enfants de Canberra en Australie. Il est 13h30 et je me trouve en compagnie du jeune Eythan qui, pour la première fois, m'autorise à enregistrer notre séance.
Le Docteur Loomis est un vieil homme qui n'est pas bien grand. Il n'a quasiment plus de cheveux sur le caillou et porte ses lunettes plus sur le nez que devant les yeux. Il fixe d'ailleurs le jeune homme de son regard noisette limite passé. Mains jointes entre elles et déposaient sur la table, il prend une grande inspiration, sachant qu'il doit la jouer fine avec son patient.
« Bonjour Eythan. Comme prévu, je ne vais pas te poser de question, mais te laisser raconter tout ce que tu veux me dire. Je ne te force en rien. Si des passages de ta vie doivent rester secrets, ne te sens pas obligé de me les raconter. »
Le médecin se veut confiant et rassure le jeune homme. C’est généralement une tactique qui fonctionne plutôt bien et qui vise à appuyer sur le côté compatissant, afin d’obtenir le plus de révélations possibles. Eythan n’est pas idiot, il l’observe un long moment de ses yeux verts. Se balançant légèrement sur sa chaise, d’avant en arrière, les mains jointes également, mais déposées sur ses cuisses, il hésite avant de se lancer finalement.
« Je … je suis né ici, à Canberra. Mon père était chauffeur-livreur et ma mère serveuse dans un bar pour routiers. C’est là-bas qu’ils se sont rencontrés tous les deux. Je ne suis pas le fruit d’un amour passionnel, mais un accident. Mon père était marié de son côté, avec une femme ne pouvant avoir d’enfant. Ma mère profitait de son célibat pour arrondir les fins de mois. En apprenant qu’il avait fait un gamin ailleurs, la femme de mon père l’a mis à la porte et n’ayant pas d’endroit où aller, ma mère l’a hébergé. J’ai fais la connaissance de cet homme, alors que j’avais déjà cinq ans. Je ne l’avais jamais vu auparavant. Il travaillait beaucoup et n’était pas souvent à la maison, sauf après son licenciement un peu plus d’un an plus tard. Il se démenait pour trouver un autre job et ma mère devait gérer le côté financier seule. Elle a repris ses activités pour arrondir les fins de mois. Mon père a fini par ne plus chercher de travail, plongeant dans l’alcool. C’est lors de ma septième année que tout a commencé. Après une bagarre à l’école, mon père m’a collé une rouste comme jamais. Et … il ne s’est plus jamais arrêté non plus. Ma mère n’était pas souvent présente et finissait par se droguer. Elle se moquait bien de ce qu’il m’arrivait. A plusieurs reprises, j’étais forcé de partir chez notre vieille voisine, pour me cacher. Ensuite, très âgée, elle a fini par mourir d’une crise cardiaque il n’y a pas très longtemps. Son appartement a vite trouvé preneur. L’immeuble ne possédait pas d’ascenseur et il était au dernier étage, mais l’occupant semblait s’en foutre. Il m’avait entendu jouer de la guitare et nous avions sympathisé dans l’escalier. Je dirais qu’il avait trente ou trente-cinq ans. Il se passionnait aussi pour la musique et nous échangions pas mal à ce sujet. Je l’invitais également dans mon appartement dés que j’avais une nouvelle partition écrite par mes soins, juste pour avoir son avis. Mais en parallèle mon père continuait de me battre à la moindre occasion. Il était très imaginatif pour ça. Ceinture, manche à balai, poings américain, il m’a déjà cassé le nez à deux reprises, les côtes et j’ai même subi des brulures de cigarettes. Mais tout s’est arrêté ce 14 Juin. Mon voisin était présent chez lui lors d’une énième séance de maltraitance de la part de mon père. Il est arrivé dans notre appartement et l’a fait voler à travers la pièce. Son visage … son visage était différent … Ses yeux … ils n’étaient plus ceux d’un homme … et il avait de longues dents … je crois … je pense que … qu’il s’agissait d’un Vampire. »[/i]
Le regard du médecin fixait le jeune patient. Il ne répondit pas et s’imagina tout simplement que Eythan en avait eu assez des mauvais traitements de son père et qu’il l’avait juste assassiné pour avoir la paix. Mais que ne voulant pas terminer en prison, il inventait cette histoire de voisin Vampire volant à son secours. Eythan ne fut donc pas pris au sérieux, mais déclaré instable. N’ayant plus aucune chance de sortir de cet asile, il regrettait de s’être ainsi livré à ce médecin qui l’avait, entre autre trahi. Mais Judith, l’adolescente occupante la chambre d’en face, était un bon passe-temps. Un passe-temps, rien d’autre. Eythan grandissait et ses hormones aussi. Les deux jeunes gens ont fait quelques découvertes du corps humain ensemble, une fois l’extinction des feux. Bien sûr, ils se voyaient en cachette et n’avaient donc aucun recourt pour se protéger sexuellement parlant. Après plusieurs mois de bons et loyaux « services », Judith se rendit compte qu’elle était enceinte. Eythan avait déjà plus de seize ans, mais elle n’en avait que quinze. Ne divulguant pas de suite la nouvelle, la jeune fille tenta de cacher son ventre rond un bon moment, avant qu’enfin le corps médical s’en rende compte. Puisque c’était arrivé dans leurs murs, ils voulaient étouffer l’affaire et la faire avorter. Mais bien trop tard pour l’IVG médicamenteuse et la demoiselle n’étant pas consentante, elle fut mise à l’isolement en attendant la naissance de l’enfant. Ce dernier serait aussitôt placé à l’orphelinat le faisant passer pour un gamin né sous X. Mais si Eythan ne faisait que s’amuser avec l’adolescente, il n’était pas de marbre face au sort qu’il serait réservé à son bébé.
C’est le 20 Février 1998, soit quelques jours après son propre anniversaire, que les cris d’un nourrisson retentissait dans le couloir. En y jetant un oeil, Eythan aperçut l’une des soignantes de l’asile, avec un bébé entouré dans une couverture. Elle se dirigeait vers la salle de soin, certainement pour le nettoyer en attendant les services sociaux. Lui, il voulait juste voir son bébé. Rien qu’une fois. Voir son petit visage, juger des ressemblances et rien qu’une seule fois pouvoir l’embrasser avant qu’il ne lui soit retiré. Sortant de sa chambre en douce, il avait attendu que la soignante s’en aille en urgences à l’isolement, pour pouvoir entrer dans la salle. Il trouva alors là, devant lui, dans un petit landau, son fils. Son regard parfois vide, se fit bien plus doux d’un coup. Il se pencha au-dessus du berceau roulant et caressa la joue du nouveau-né, avec un petit sourire sur le visage. L’observant attentivement, il tentait d’imprimer ce doux minois dans sa mémoire, puisque jamais plus, il ne le reverrait. Mais aux pas de courses, des infirmières étaient de retour. Il n’avait pas eu le temps de sortir et s’était caché sous le bureau. L’angoisse montait d’un cran dans la pièce, alors que ça parlait d’un suicide. Eythan ne mit pas longtemps à comprendre que c’était la jeune maman qui avait mise fin à ses jours, après que son bébé lui ait été retiré. Sûrement qu’à ce moment précis, il vécut une sorte de déclic, mais il attendit encore de longues minutes que la pièce soit à nouveau libre, pour attraper le bébé et filer de l’hôpital. Ce ne fut pas sans mal. Quitter un asile n’est pas donné à tout le monde, mais il y était parvenu. Sauf que même pas une heure plus tard, son visage était déjà placardé sur tous les écrans du continent, le faisant passer pour quelqu’un de dangereux et d’instable. Il n’avait que dix-sept ans, mais il savait déjà ce qu’il voulait.
Retournant à l’appartement qui l’avait vu grandir, il apprit que sa mère n’y vivait plus depuis plusieurs mois maintenant, tout comme le voisin qui avait disparu sans laisser d’adresse. Eythan compris qu’il n’avait pas d’autre choix que de fuir cette ville et peut-être même ce continent. Il arriva à se procurer biberons et couches, dans une maternité, à l’insu du personnel, se faisant passer pour un jeune père qui venait rendre visite à son bébé. Il n’eut pas trop de mal, son nouveau-né venant tout juste de naître.
Son côté têtu mais aussi aventureux, le poussèrent à monter dans un bateau de croisière pour quitter son ancienne vie. Il fit d’abord une escale en Italie, puis remonta en France par voie routière, avant de reprendre un bateau pour la Grande Bretagne. A son arrivée, il entreprit de faire les démarches pour donner une identité à son fils. Il lui donna son second prénom : Tobias. Lui restait encore à trouver un moyen de vivre convenablement. Accompagné de sa guitare, il joua dans des pubs pour se faire un peu d’argent, gardant son fils non loin de la scène dans un premier temps. Des jeunes du coin, le remarquèrent très vite pour ses talents de guitariste, mais aussi de vocaliste. Lui proposant d’intégrer le groupe qu’ils étaient en train de monter, l’un des membres lui offrit même de venir vivre chez lui et ses parents. Pouvant ainsi mettre un peu plus d’argent de côté et offrir une vie convenable à Tobias, il continua sur cette lancée. Et dés qu’il en eut l’occasion, il s’offrit un logement décent.
Quelques années plus tard, notre petit Punk rencontra une femme, Gwen. Tous deux vécurent une relation aussi intense que très courte, mais de leurs ébats étaient nés le second fils de Eythan : Jamie. Mais la rupture ne traina pas. Quelques mois après la naissance du petit. Ses avocats jouants sur le côté un peu jeune et volage de la jeune femme, n’eurent aucune difficulté à ce que le tribunal ne lui laisse la garde du petit.
Mais à force de tomber sur des nourrices difficiles à réellement garder, sous les conseils de ses amis, il a offert un job de fille au pair, qui trouva très vite preneur en la personne de Zéphyrine. La demoiselle le marqua d’autant plus que comme lui, elle était en fuite. Le temps passant, les deux protagonistes ont fini par se rapprocher, au point de passer d’employeur-employée à mari et femme. Mais Londres réserve toujours autant de surprises. Récemment, Eythan est persuadé avoir revu le Vampire qui l’avait aidé. D’ailleurs, après tout ce temps, il n’a pas pris une seule ride. Sans en tenir informé sa famille, pour ne pas les inquiéter, il entreprend de le rechercher. Toujours persuadé de ce qu’il a vu étant adolescent, il sait que ces créatures existent.
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